À l’été 1900, Felix Vallotton et son épouse Gabrielle s’installent au château de La Naz à Romanel, sur les hauteurs de Lausanne. Les vues offertes sur le lac, sur l’arrière-pays vaudois et sur la chaîne du Jura ainsi que la présence d’Édouard Vuillard qui peint à ses côtés pendant une quinzaine de jours au mois d’août, inspirent particulièrement l’artiste. Comme son nom l’indique, Souvenir de Romanel, a été réalisé en mémoire du séjour heureux passé au château de la Naz. Ici, Vallotton restitue fidèlement les caractéristiques de cette vaste demeure de campagne, avec ses volets verts et son grand toit en croupe en tuiles rouges, souligné aux arêtes et au faîte par un alignement de tuiles blanches. Le cadrage serré, les branches tombantes formant un repoussoir en haut à droite, le traitement du bouquet d’arbres à gauche et les contrastes accusés révèlent une intention ornementale qui distingue cette composition des vues de la région lémanique peintes une dizaine d’années plus tôt. Dans ce tableau Vallotton expérimente la formule nabi, auparavant appliquée au portrait, au nu et à la scène de genre. Travaillant à coups de pinceaux très courts orientés horizontalement, le peintre commence par les grandes surfaces colorées avant de s’attaquer aux éléments secondaires, puis enfin aux contours.
Le calme, la sérénité et l’immobilité de la scène ne sont pas sans rappeler les paysages et les vues urbaines hollandaises du siècle d’or. Dans notre tableau, le pan de mur blanc central captive le spectateur de la même manière que « le petit pan de mur jaune » qui se trouve à droite de la composition. Dans la « Vue de Delft » de Vermeer, ce pan de mur jaune est particulièrement célèbre car il est un élément clef dans l’ouvrage « à la recherche du temps perdu » de Proust. En effet, le personnage de Bergotte après avoir vu la « Vue de Delft » décède face à la beauté saisissante de ce petit mur.