
CHAÏM SOUTINE 1893-1943
L'âne, circa 1934
Huile sur panneau
34,3 x 49,2 cm
67,8 x 84 cm (avec cadre)
67,8 x 84 cm (avec cadre)
Signé en bas à droite : Soutine
Chaïm Soutine (1893-1943), né en Lituanie, à Smilovitchi, rejoignit en 1912 ses amis d’enfance, Michel Kikoïne et Pinchus Krémègne, qui l’avaient précédé à La Ruche, dans le quartier de Montparnasse....
Chaïm Soutine (1893-1943), né en Lituanie, à Smilovitchi, rejoignit en 1912 ses amis d’enfance, Michel Kikoïne et Pinchus Krémègne, qui l’avaient précédé à La Ruche, dans le quartier de Montparnasse. Soutine fuyait la misère de ses origines ainsi que la tradition talmudique, qui lui interdisait de reproduire la figure humaine. Les Castaing qui fréquentaient, avec la même aisance, les lieux de la vie mondaine et ceux de la nouvelle bohème parnassienne, connaissaient Soutine depuis quelques années. Madeleine Castaing fut l’amie de Picasso et de Modigliani, mais c’est de Soutine que cette femme issue de la Bourgeoisie s’enticha, percevant derrière sa peinture "brutale et raffinée" une part de sa propre personnalité. Devenue sa mécène dans les années 30 et obsédée par l’idée de le faire travailler, elle l’hébergea dans son château à Lèves près de Chartes. Soutine séjourne pendant plusieurs étés dans l’impressionnant domaine des Castaing où il trouve un havre de paix et de compréhension, l’ambiance réparatrice pour sa santé délabrée. Sur place, de nombreux sujets d’inspiration s’offrent à lui lors de ses promenades dans l’immense parc aux recoins mystérieux où encore dans la ferme où s’ébattent les animaux. Peinte en 1934 « L’âne » est une huile sur toile particulièrement révélatrice de cette période. Débarrassé de la misère qu’il a pu connaitre auparavant, Soutine ne se soucie plus de manquer d’argent et peint dans une gamme moins stridente. Son dessin prend un aspect moins brutal et sa peinture faite de multiples couches transparentes s’ouvre sur une nouvelle conception sans pour autant perdre sa puissante expression. Avant 1930, Soutine peignait uniquement des animaux morts et décharnés, après son arrivée à Lèves, il ne peint plus que des animaux vivants comme si le spectre de la mort qui le hante en permanence lui laissait quelque temps de répit. Représentant un âne, la présente œuvre, révèle l’admiration de Soutine pour la peinture de Gustave Courbet, chez qui il admirait le pouvoir religieux d’animer la substance picturale et de traduire la plénitude de la vie. À Lèves, Soutine exécute plusieurs études d’animaux inspirés du maître d'Ornans. La transposition à l’échelle réduite donne à ces observations cruelles ou ingénues une préciosité de miniatures. Sur cette toile, le cadrage est serré sur l’âne. Soutine peint pour lui-même, sans décor, avec un paysage en arrière-plan à peine esquissé. Placé sur un fond vert, l’animal semble en apesanteur, la perspective et l’espace sont complétement occultés. La perception du spectateur est ainsi biaisée, il est difficile de savoir si cet âne est réel ou non. Fasciné par la mort et la transformation de chairs, depuis toujours, Soutine interpelle notre conscience pour que nous regardions au-delà des conventions. Durant sa vie entière, il s'est limité aux genres du paysage, de la nature morte et du portrait en faisant des manifestes. Dans ce tableau, les formes ne sont pas immergées dans la matière, qui unifie le proche et le lointain, elles se détachent du fond. À la fois surprenante et fascinante, la gamme chromatique qu’il choisit témoigne de son incroyable talent. Composée de bleus laiteux, de verts grisés et de touches de rouges, sa palette de couleurs donne un scintillement vif et un rayonnement délicat à cet âne, l’amenant dans des sphères mystiques. Indissociable de l’œuvre et de la vie de l’artiste, le tourment existentiel de Soutine est également présent dans cette œuvre. L’âne dans la culture et l’histoire est tantôt vu comme un animal diabolique épris d'ignorance et de malfaisance tantôt comme un symbole d'humilité, de patience et de persévérance. Cette dualité, évoquée par le contraste entre les taches rouges dans la bouche de l’âne et les couleurs bleuâtre de son pelage, caractérise l’image renvoyée par Soutine dans la société. À la fois considéré comme un peintre maudit et visionnaire, il fut une source d’intrigue permanente pour le public.
Provenance
Marcellin & Madeleine Castaing, ParisMadeleine Castaing, Paris
Expositions
Soutine, Orangerie des Tuileries, Paris, 1973, n°67Chaïm Soutine (1893-1943). I Dipinti della Collezione Castaing, Gallerie Bergamini, Milan, 1987, n°10
Soutine, Musée de Chartres, Chartres, 1989, n°61
Catalogues
Marcellin Castaing et Jean Leymarie, Soutine, Paris et Lausanne, 1963, illustré en couleur pl. XXXIRenata Negri, Soutine, in L'Arte Moderna, vol. 10, Milan, 1967, illustré sous le n°87 p.226
Pierre Courthion, Soutine. Peintre déchirant, Lausanne, 1972, illustré fig. F p.280.
Renata Negri, La Scuola di Parigi e i suoi protagonisti, Milan, 1977, illustré p.186 et listé p.191.
Maurice Tuchman, Esti Dunow & Klaus Perls, Chaïm Soutine. Catalogue raisonné, Cologne, 1993, vol. I, illustré sous le n°118 p.497.