HENRI-EDMOND CROSS 1856-1910
108,5 x 93 cm (avec cadre)
Cadre en bois doré et sculpté, époque Louis XIV, France.
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Henri-Edmond-Joseph Delacroix de son vrai nom, est né en 1856 à Douai, dans le nord de la France. Après une formation artistique avec Carolus-Duran et des cours aux Écoles académiques de dessin et d'architecture de Lille, il expose à partir de 1883 sous le pseudonyme de Cross afin d’éviter les associations avec son homonyme, Eugène Delacroix. L'année suivante, il devient l'un des membres fondateurs de la Société des Artistes Indépendants à Paris, où il fait la connaissance de Georges Seurat et de Paul Signac. Influencé par ses nouveaux amis, il expérimente dès le début des années 1890 la nouvelle technique de peinture du pointillisme. Considéré comme l’un des représentants les plus importants du mouvement néo-impressionnisme, il découvre la Côte d’Azur avec Paul Signac où son déménagement marquera un tournant décisif dans sa carrière. La beauté des paysages et la lumière méditerranéenne le fascinent et deviennent les sujets principaux de sa peinture. En 1891, il s'installe dans une maison sur la plage de Cabasson puis un peu plus tard dans la ville côtière de Saint-Clair. Bien que Cross garde un œil sur la scène artistique métropolitaine, son style change suite à ses nouvelles conditions de vie et de travail : les couleurs sombres et toniques de ses premiers travaux cèdent la place à une palette lumineuse et à des contrastes de couleurs distincts. Le sujet devient finalement prétexte à de pures harmonies de lignes et de couleurs.
Avec ce grand portrait en pied intitulé, "La Toilette" Henri Cross affirme son appartenance au mouvement néo-impressionniste. Au contact de Signac, Angrand et Van Rysselberghe, il s'est imprégné des théories du groupe pour en faire ressortir son propre style. Peint en 1904 lors d’un séjour à Saint-Tropez, cette œuvre incarne les recherches artistiques du peintre à cette époque. D’une manière novatrice, il se détourne des paysages maritimes pour peindre une scène d’intérieur représentant le réveil d’une jeune femme nue assise sur un drap blanc. Le modèle est installé au centre de la chambre dans une composition intimiste où les ombres et les lumières s’équilibrent naturellement. La lumière estivale du matin est évoquée par l’éclat scintillant des touches de couleurs pures juxtaposées. Cross compose son tableau à partir d’une multitude d’aplats de bleu, vert, blanc et rose, placés les uns à côtés des autres. Cette technique lui permet de saisir la lumière typique du Midi de la France se faufilant à travers la fenêtre en arrière-plan. C'est avec une grande subtilité que Cross développe ici le "chromo-luminarisme" rappelant également l’œuvre de Henri Matisse. Réunis dans le Midi de la France au cours des étés 1904 et 1905, Matisse et Cross se découvrent des horizons communs. Tous deux en quête d’harmonie et en début de rupture avec le pointillisme, ils exécutent une série d’œuvres qui les conduisent à modifier leur pratique coloriste. Grâce à Matisse, Cross apprend que la couleur n’est pas qu’une question de technique mais également de perception. Le pigment appliqué en aplat doit être poussé à son paroxysme comme en témoigne la présente œuvre annonçant le fauvisme.
Le peintre et son modèle est un sujet classique que Cross, par le choix des teintes audacieuses, renouvèle en lui donnant des allures arcadiennes. La beauté de la jeune femme s’apparente à celle d’une déesse ou d’une créature divine directement sortie d’un tableau de la renaissance. Les touches de rose et de blanc contrastées par un vert acide donnent vie à ce corps voluptueux dont la luminosité qui s’en dégage éblouit le spectateur. Cross n’hésite pas à associer la tradition et l’innovation. En arrière-plan, il peint une armoire vitrée où se reflète les deux montants du lit et une partie de la chambre. Cette technique de mise en abime permettant d’introduire la profondeur dans la scène est une réminiscence du tableau de Van Eyck représentant les époux Arnolfini. A gauche de l’armoire, Cross a peint une fenêtre avec ses montants et sa peine puis un miroir.
"La Toilette" est une œuvre majeure et charnière dans la carrière de l’artiste. Elle concentre la technique du néo-impressionnisme et le fauvisme naissant.
Le succès de l’exposition de 1905 permet à Cross de financer la venue d’une modèle à Saint-Clair, Cécile.
Auparavant, l’artiste partageait des modèles en atelier avec Théo Van Rysselberghe lors de ses séjours parisiens. Trouver aux environs du Lavandou un modèle féminin acceptant de poser nu dans la nature était une gageure à l’époque. Cross commence par peindre Cécile en intérieur, comme dans La Toilette. Il s’imprègne de ses traits harmonieux, de ses formes voluptueuses, de sa chevelure rousse, relevé en un chignon particulier. Cela lui permet de cerner sa morphologie, mais aussi de la mettre en confiance avant de poser en extérieur. En effet, Cross profite de sa présence pour effectuer de nombreuses études en plein air qui lui servent pour les tableaux peints ensuite en atelier.
Provenance
Galerie Eugène Druet, Paris, 1911 (stock n°5143).
Galerie Bernheim-Jeune, Paris.
Ancienne collection Henri Canonne, Suisse.
Expositions
Bruxelles, La Libre Esthétique, Rétrospective Henri – Edmond Cross, 18 mars-23 avril 1911, n° 31.
Paris, Galerie Eugène Druet, Peintures et aquarelles de H.E. Cross et P. Signac, 19 juin-3 juillet 1911, n° 3.
Saint-Tropez, Musée de l'Annonciade, Henri-Edmond Cross dans la lumière du Var "Le plus beau pays du monde", 10 juillet au 14 novembre 2023.
Catalogues
Lettre d’Eugène Druet à Octave Maus, 3 Mars 1911., inv.
MRBAB/AACB 39545 (Bruxelles, Archives de l’art contemporain en Belgique).Leon Riotor, « A travers les expositions », Le Radical, Juin 1911.
Galerie Eugène Druet, Peintures et aquarelles de H.E. Cross et P. Signac, Paris, 1911, n° 3.
Isabelle Compin, H.E Cross, Paris, 1964, illustré sous le n°112, p.206.
Patrick Offenstadt, Henri-Edmond Cross, Catalogue Raisonné de l'œuvre peint, illustré sous le n°268, p. 293.